L'année 2015 s'annonce difficile pour la Turquie. Sur le plan intérieur et sur le plan extérieur. Dans les deux cas, le Premier ministre Ahmet Davutoglu sera en première ligne.
Commençons d'abord par les relations internationales. L'année 2015 est celle du centième anniversaire du génocide du peuple arménien, planifié et exécuté par le gouvernement des "Jeunes Turcs". Des cérémonies, colloques, expositions, ouvrages, films, discours, articles viendront rappeler partout dans le monde, à ceux qui l'ignorent encore, ce qu'a été le premier génocide du XXe siècle. Cela non seulement autour de la date symbolique du 24 avril, mais également tout au long de l'année. La diaspora arménienne née des rescapés du génocide qui se sont dispersés sur les cinq continents sera au cœur de ces commémorations.
L'année 2015 s'annonce difficile pour la Turquie. Sur le plan intérieur et sur le plan extérieur. Dans les deux cas, le Premier ministre Ahmet Davutoglu sera en première ligne.
Commençons d'abord par les relations internationales. L'année 2015 est celle du centième anniversaire du génocide du peuple arménien, planifié et exécuté par le gouvernement des "Jeunes Turcs". Des cérémonies, colloques, expositions, ouvrages, films, discours, articles viendront rappeler partout dans le monde, à ceux qui l'ignorent encore, ce qu'a été le premier génocide du XXe siècle. Cela non seulement autour de la date symbolique du 24 avril, mais également tout au long de l'année. La diaspora arménienne née des rescapés du génocide qui se sont dispersés sur les cinq continents sera au cœur de ces commémorations.
Comme cela a été souvent le cas dans le passé, tous ceux qui entretiennent un contentieux avec la Turquie, ou qu'ils veulent la flétrir, pour une raison ou pour une autre, s'apprêtent à utiliser la mémoire du génocide arménien comme un moyen de rétorsion, voire de punition à l'égard d'un pouvoir désigné comme islamo-conservateur, en réalité islamo-kémaliste, autrement dit plus ou moins héritier des errements criminels du Comité Union et Progrès des rangs duquel est sorti le fondateur de l'actuelle République turque.
Un mur de mensonges contre le déferlement de révélations
Quand on sait que tous les ans les dirigeants turcs attendent le 24 avril avec une fébrilité non dissimulée. Que chaque nouvelle année les trouve suspendus aux lèvres du président des États-Unis pour savoir si oui ou non, il prononcera dans son discours le mot de "génocide" pour qualifier les déportations de masse et les immenses massacres qui les accompagnèrent au cours de l'année 1915. On imagine aujourd'hui sans peine, un siècle après cette insondable tragédie, leur état d'esprit et leur appréhension face au déferlement de révélations qui viendront frapper en 2015 le mur de mensonges érigé par l'histoire officielle de l'État turc.
La Turquie, à part la sempiternelle et lassante litanie du négationnisme d'État dont les antiennes ne rassurent plus que quelques néo-kémalistes et panturquistes parmi les plus radicaux, n'a pris aucune mesure concrète pour endiguer ou au moins atténuer les dommages du raz-de-marée annuel et ce n'est pas en 2015 que le gouvernement turc y parviendra mieux que par le passé. Ceci pour deux raisons, structurelle et conjoncturelle.
Sur le plan structurel, la négation d'État de cet imprescriptible crime contre l'humanité est une constante depuis la fondation de la République, quel que soit le régime et quel que soit le parti au pouvoir. Un pacte secret lie les dirigeants, d'une génération à l'autre, pour cacher "Le Crime" sur lequel la république s'est bâtie.
2015: une période électorale en Turquie
Sur le plan conjoncturel, en 2015, la Turquie entre dans une période électorale, celle des législatives prévues au mois de juin que l'AKP, le Parti de la justice et du développement, aborde en mauvaise posture. Les dernières affaires qui ont compromis gravement l'entourage immédiat du Président Erdogan, l'autoritarisme de plus en plus prononcé de l'exécutif vis-à-vis des opposants et les restrictions des libertés publiques d'expression et d'information, la mise sous tutelle de la police et de la Justice ont fortement terni l'image du parti islamiste populaire. Or, en période préélectorale, il est impossible de prendre les mesures qui permettraient d'épurer le passif du génocide arménien. À cela s'ajoute un évident manque de volonté de la part du gouvernement d'aller dans le sens d'une salutaire reconnaissance du génocide. À ce titre, les condoléances de Recep Tayyip Erdogan en avril 2014, n'ont été, comme nous l'avions écrit dans ces colonnes, que de la poudre aux yeux, sans conséquence concrète. Tout comme la solution de la question kurde toujours repoussée sine die !
Parallèlement, le Premier ministre Ahmet Davutoglu se trouve dans une impasse à trois voies vis-à-vis de son "parrain", Erdogan, de l'AKP et du pays. En effet, si Davutoglu a été nommé ministre des Affaires étrangères en 2009, c'est grâce à Erdogan, alors Premier ministre. Idem, il doit au même homme son poste de Premier ministre depuis août 2014 qui lui a endossé les habits neufs de Président de la République. Par conséquent, l'objectif principal de Davutoglu, Premier ministre, mais aussi chef du parti au pouvoir l'AKP, est de réussir cet examen de passage que vont constituer les législatives de juin 2015. Notamment en cherchant à obtenir un résultat au moins égal à son prédécesseur afin de ne pas affaiblir l'influence et la capacité de gouvernement de ce dernier qui a entre temps pris les rênes du pays. Autrement dit, Davutoglu doit "faire ses preuves" comme l'a écrit l'éditorialiste Cengiz Candar dans "Radikal" (03.01.2015). Il doit faire ses preuves vis-à-vis d'Erdogan, lui-même, mais aussi de l'AKP et du pays, et cela, dans une conjoncture particulièrement difficile.
Au demeurant, Ahmet Davutoglu a son propre agenda et ne voudra pas rester longtemps dans l'ombre du "sultan". Contrairement à Erdogan, Davutoglu est un intellectuel, il se voit comme un stratège de la politique extérieure, comme un penseur, comme un artisan d'une culture panislamiste. Bref, comme un homme d'État.
Les trois casse-têtes de Davutoglu
Et c'est bien là que se situe le casse-tête 3D de Davutoglu.
Comment conduire une campagne électorale avec un bilan loin d'être brillant en politique extérieure. Politique dont il a été le premier artisan avec sa doctrine du "zéro problème avec nos voisins". Doctrine qui s'est vite transformée en "zéro voisin sans problèmes". La Turquie qui se voyait déjà en grande puissance régionale se trouve aujourd'hui dans une réelle position d'isolement, aussi bien vis-à-vis des pays occidentaux, notamment avec les États-Unis, qu'avec ceux du Proche-Orient. Ainsi, Davutoglu, au risque de se désavouer, se voit désormais contraint de présenter sa politique étrangère comme une réussite, donc forcé de ne rien changer sur ce plan d'ici les élections !
La concordance de l'année électorale avec le centième anniversaire du génocide du peuple arménien va en conséquence, par la force des choses, radicaliser, en Turquie et à l'étranger, le discours nationaliste et négationniste. Ceci ne va pas améliorer les relations de l'Union européenne et de la Turquie, de plus en plus mal en point malgré les efforts incessants des agents d'influence, aussi bien dans les médias que dans les couloirs de Bruxelles. Un lobbying en outre orchestré depuis Paris par l'Institut du Bosphore. Un groupe de pression dont la Revue Europe et Orient avait dans son numéro 14, dénoncé "La Guerre des mémoires". Signalons en dernier ressort, les récentes réprimandes que Bruxelles vient d'adresser à la Turquie en relation avec sa déplorable politique des droits humains et son permanent non-respect des libertés fondamentales.
Plus généralement, si l'on se projette dans l'après-législative, la question se posera pour l'actuel Premier ministre de savoir comment s'affranchir de la pesante tutelle d'Erdogan. Ceci tout en restant à la tête de l'AKP et sans apparaître face au pays comme un diviseur. À savoir comme celui qui s'opposerait au chef de l'État alors qu'Erdogan conserve une certaine crédibilité, en particulier auprès des musulmans de base, la majorité sunnite, ce peuple "d'en bas" qui lui pardonne tout, y compris d'étouffer les vilaines affaires qui l'éclaboussent périodiquement.
Tout ceci laisse penser que l'année 2015 sera effectivement difficile pour Davutoglu, pour le parti AKP, pour Erdogan et donc pour la Turquie !