Si les Français d’origine arménienne ont parfois eu du mal à se faire comprendre, c’est qu’ils défendaient le cœur de la chose même, alors qu’on leur opposait des débats situés dans les entours de la question. On les abreuvait de problèmes techniques – constitutionalité ou non, vocation du parlement, rôle des historiens, etc. – tandis qu’ils tentaient vainement de ramener cette question en son centre. C’était pour eux une grande douleur à devoir supporter ces discours périphériques aux dépens de l’essentiel. Quelques intellectuels ayant pignon sur rue ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Ils n’ont pas cherché les poux de cette loi comme certains l’ont fait. Leur pensée n’étant altérée par aucun intérêt, ils ont jugé la chose en conscience. C’est tout à l’honneur de Bernard-Henri Lévy, de Michel Onfray et d’autres d’avoir d’emblée pris en compte le sujet en son noyau. Ils auraient eu honte de tergiverser alors que cette loi relative à la pénalisation des génocides est d’abord et avant tout une loi qui préserve la dignité des victimes et l’avenir de l’Europe. Ils ont su tout de suite que le négationnisme était une gangrène qui fait obstacle aux avancées de l’humanisme européen et à l’humanisation des rapports interpersonnels. Que le génocide des Arméniens doit être défendu par une loi, enseigné dans les écoles pour la simple et bonne raison que l’oublier serait une défaite des valeurs qu’il faut sans cesse promouvoir, sans cesse préserver contre ceux qui tentent de les pervertir.
(Qui n’a vu que la Turquie négationniste, dans sa grande monstruosité morale, a opposé valeur contre valeur pour enrayer le vote du sénat ? En effet, rien ne marche plus dans ce genre de débat que de brandir une menace à la liberté d’expression. Les médias français, soucieux de défendre leur pré carré, ont vite fait de tomber dans le piège, oubliant que ce qui était dénoncé en France par les Turcs était largement pratiqué chez eux. Mais qui n’a vu aussi que cette loi était un coup de semonce à l’adresse d’une Turquie qui depuis des années veut entrer armée de son histoire sanglante dans une Europe qui ne la “sent” pas ? Les sénateurs opposés à cette loi ont usé de tous les arguments sauf à dire que le négationnisme ne pouvait avoir pas de place sur tout le territoire européen. Or, la Turquie veut tout : l’Europe et son propre nationalisme, l’Europe et sa propre invasion de Chypre, l’Europe et sa fermeture des frontières avec l’Arménie, l’Europe et ses propres massacres de Kurdes, L’Europe et son mausolée à Talaat, l’Europe et l’emprisonnement de ses propres intellectuels… Cette persistance à user de la force nous conduit à rire de la naïveté des Verts qui croient que l’Etat turc puisse être contaminé par les valeurs européennes et se purger de ses démons unionistes. D’ailleurs, qui n’a vu que les Turcs de France, brandissant leurs drapeaux devant le Sénat, étaient d’abord turcs avant d’être français ?)
Dans le fond, que réclament les Arméniens de France par le biais de cette loi ? Leur humanité. Leur appartenance au monde des hommes. Car aujourd’hui en France comme hier en Turquie, les Arméniens ont le sentiment d’être niés comme êtres humains à part entière par d’autres hommes. (Hrant Dink ne fut-il pas écarté de la rédaction du journal « Birgun » du fait de ses origines arméniennes ?). L’humanité je vous dis.Encore elle. Le centre. Le coeur du débat.